Situation de l'électroacoustique au Canada
TABLE DES MATIÈRES
PRÉAMBULE 1. BREF HISTORIQUE 2. LA PRATIQUE ARTISTIQUE
2.1. Les années quatre-vingt-dix ou le couteau suisse 2.2. La nouvelle donne technologique 2.3. Le rôle des institutions 2.4. Les pratiques électroacoustiques 2.5. De la marginalité 2.6. De l'art d'interprétation 2.7. De la présence des femmes 2.8. Compositeur ou artiste sonore 2.9. Les régions
3.1. Les menus travaux 3.2. Les bourses et les commandes 3.3. La communauté électroacoustique 3.4. Le programme Audio en arts médiatiques
4.1. Les moyens traditionnels de diffusion 4.2. Et les nouveau moyens 4.3. Les festivals 4.4. La scène canadienne 4.5. La situation en Europe 4.6. Des lieux de diffusion.
5.1. Son rôle 5.2. Ses outils 5.3. La CEC par elle-même 5.4. Représentativité 5.5. Modèles étrangers 5.6. Actualité de la CEC
Un programme spécialisé en électroacoustique Subvention de fonctionnement pour la CEC Un nouveau nom: le Programme Électro
PRÉAMBULE
Le présent rapport est le fruit du processus de réflexion entourant la musique contemporaine et actuelle - et en ce qui nous concerne plus particulièrement, l'électroacoustique - du secteur musique du Conseil des arts du Canada (CAC). Ce processus, entamé à l'automne 2000 avec certaines rencontres publiques a été poursuivi par une enquête menée auprès des principaux acteurs de cette discipline - compositeurs, interprètes, producteurs, professeurs, étudiants, etc.[1] - ainsi qu'auprès des membres d'un groupe de discussion électronique (CECDiscuss [2]) comportant une forte représentation internationale (elle regroupe environ 350-400 individus en tout). Cette enquête a été menée en janvier 2001. Une trentaine de questionnaires nous ont été retournés, qui font le point sur différents aspects de la pratique électroacoustique, que nous avons regroupés en chapitres et qui représentent autant de divisions de notre rapport[3].
Le processus de consultation s'est donc déroulé sur une période très courte et, comme le CAC a engagé plusieurs consultants en même temps afin de sonder différents aspects de la question, plusieurs personnes contactées nous ont répondu par la négative à cause de la surcharge de travail que cela représentait de répondre à plusieurs des questionnaires mis en circulation. De plus, les délais étaient courts et les questions soulevées trop nombreuses pour la plupart des personnes ressources consultées.
Enfin mentionnons que toute la documentation produite par le CAC pour mener à bien ce projet a été fournie exclusivement en anglais, ce qui a eu des conséquences sur les délais à respecter, puisque la traduction a été renvoyée à la responsabilité des consultants s'ils désiraient que leurs collègues d'expression française puissent participer au processus dans leur langue maternelle.
Nous croyons cependant être en mesure de brosser un tableau de la question qui, s'il n'est pas exhaustif, permet de saisir les grands enjeux qui sont en cause face à la situation de l'électroacoustique au Canada.
Essentiellement nous avons couvert deux aspects de la situation: la pratique artistique comme telle, qui occupe la majeure partie de notre texte; et la situation de la Communauté Électroacoustique Canadienne, qui est l'association représentant l'électroacoustique au Canada[4].
L'histoire de l'électroacoustique au Canada[5] est contemporaine de l'histoire universelle de cette musique. À une première phase mise en place par les pionniers comme Hugh Le Caine qui inventa des instruments électroniques (Electronic Sackbut en 1946) avant même l'apparition de la musique concrète en 1948, a succédé l'époque de création des studios dans les différentes universités canadiennes entre 1959 et 1980. Puis les compositeurs canadiens ont été reconnus sur la scène internationale soit grâce à leur participation à des événements à l'étranger (conférences, festivals, concours, etc.), soit en les produisant en sol canadien (ICMC à Vancouver en 1985, New Music America à Montréal en 1990, ICMC à Montréal en 1991, ICMC à Banff en 1995). On peut dire aujourd'hui que le Canada figure dans le peloton de tête des pays où l'électroacoustique est vivante aux côtés de la France, du Royaume-Uni, de la Belgique, des pays scandinaves (Danemark, Norvège et Suède) ainsi que des États-Unis.
L'électroacoustique est un art qui existe et qui s'est développé en étroite relation avec les progrès technologiques. Contrairement à une certaine croyance populaire, nous ne constatons pas que la pratique ait tant changé depuis les débuts de la musique concrète. Les outils ont évolués considérablement mais les problématiques auxquelles les compositeurs ont à faire face aujourd'hui sont grosso modo les mêmes que celles exposées par Schaeffer et compagnie dès les premières musiques de l'appellation. Le discours «technologique» nous paraît usurpé et ne semble destiné qu'à cacher un vacuum esthétique. Les vraies problématiques sont ailleurs.
Cependant, certaines conditions sociales de genèse de l'électroacoustique ont été bouleversées au cours des dernières années et il nous semble important de dresser un portrait de la situation en ce début de XXIe siècle.
2.1. Les années quatre-vingt-dix ou le couteau suisse
D'un côté, on constate l'émergence du son numérique. Ainsi, au moment où j'écris ces lignes, les artistes de la vidéo entrent de plain-pied dans l'ère du numérique avec les DVCam. Or, il est bon de rappeler que le même phénomène s'était déjà produit au tournant des années quatre-vingt dix, avec, entre autres, les magnétophones DAT [6] portatifs. Autonomie de prises de son, de transfert, conservation de l'intégralité du signal, absence de bruit de fond, miniaturisation des appareils, toutes ces avancées ont contribué à l'émergence d'un art pauvre. Il est possible désormais de traîner sur soi un enregistreur de qualité professionnelle pour une somme dérisoire au regard de ce qu'il en coûtait à l'époque de l'analogique.
De l'autre côté, l'apparition de l'ordinateur personnel bouleverse le paysage culturel et social. Le grand changement ici, c'est l'apparition de l'outil "tout-dans-un". C'est le couteau suisse de l'électroacoustique. La décennie précédente avait vu l'apparition d'une quincaillerie "délirante" et toute dédiée: chaque appareil, chaque "boîte noire" avait une fonction unique. Le studio, même s'il est constitué de plusieurs de ces machines, demeurait encore une exclusivité institutionnelle puisque tous ces appareils réunis coûtaient une jolie somme, loin de la portée de la bourse du compositeur type.
Alors que par cette invention, le studio au complet est contenu dans un seul appareil qui, lui-même, n'est pas dédié à la musique mais n'est que le gestionnaire d'une série de logiciels, pour la plupart gratuits ou peu coûteux. Le compositeur ne dépend plus du bon vouloir de compagnies qui ont des pratiques commerciales nécessairement divergentes de nos intérêts, mais devient indépendant en s'appropriant tous les outils de production chez lui.
Ce changement entraîne directement l'apparition d'une nouvelle série de cultures underground que nous regroupons sous le vocable "techno" et dont la relation avec l'électroacoustique est double: tout d'abord, les outils utilisés sont les mêmes, mais surtout, le langage, si l'on fait exception de la prédominance rythmique, en est très proche. Nous n'en voulons pour preuve que l'extraordinaire regain de popularité de la musique concrète (symbolisée par Pierre Henry en tout premier lieu, mais pas seulement) auprès d'un auditoire qui ignore tout de l'institution de l'électroacoustique.
Ce phénomène musical et social est comme une vague de fond qui déferle en marge de la plupart des entreprises musicales commerciales, même celles considérées "branchées" il y a vingt ans, comme la station de télévision MuchMusic et les autres chaînes de clips vidéos. Il s'agit d'une véritable contre-culture, au moins aussi significative sur le plan social que celle des années soixante à laquelle d'ailleurs elle s'abreuve fortement autant en musiques "progressives" qu'électroacoustiques.
L'une des conséquences les plus visibles de cette mutation culturelle est l'apparition de "têtes colorées" aux concerts de musiques électroacoustiques. C'est un bien, car nous avons le sentiment de ne plus voir uniquement des têtes blanches! Même dans le cas d'une série de concerts "purs et durs" comme la série Rien à voir [7] que nous produisons depuis quatre ans avec mes collègues de Réseaux (Jean-François Denis et Gilles Gobeil) et qui est dédiée à la musique acousmatique présentée dans le noir, nous attirons des auditeurs de plus en plus nombreux et de plus en plus jeunes.
Il ne faudrait pas confondre cependant les «touristes» de l'électroacoustique et les compositeurs qui la pratiquent sur une base régulière. En effet, la facilité d'utilisation des outils, si elle permet une véritable démocratisation, permet aussi toutes les facilités. Le sens critique et la culture historique sont encore de mise.
2.2. La nouvelle donne technologique
La nouvelle donne technologique, au-delà de ses particularités propres - facilité d'utilisation, rapidité d'exécution, etc. -, permet aux apprentis compositeurs de se détacher des institutions. Ces changements majeurs modifient sensiblement le rôle des institutions, tenues dorénavant d'apporter de la substance et du contenu et non plus seulement de fournir un cadre, de l'équipement ou une structure d'accueil.
Par ailleurs, on constate que les étudiants désertent les études supérieures. Autonomes à la fin de leur baccalauréat, travaillant déjà dans l'industrie musicale ou de la post-production, ils quittent l'université avec un bagage technique solide mais des carences importantes dans leur culture esthétique et historique.
Pour notre part, nous pensons que les institutions d'enseignement ont pour rôle précisément d'assurer une formation intellectuelle stimulante, alors que les studios de création (institutions qui n'existent pas au Canada) doivent être à la fois des laboratoires de recherche et des lieux de rencontres. Les studios personnels sont mieux outillés que n'importe quel studio institutionnel, pas tant à cause de leurs équipements, quelquefois désuets et lents, mais parce que ce sont des studios individuels, équipés d'outils que les compositeurs ont eux-mêmes choisis et avec lesquels ils développent une relation d'intimité comparable à celle qui existe depuis toujours entre l'instrumentiste et son instrument.
Le studio personnel devient, et cela pour la première fois dans la jeune histoire de l'électroacoustique, un outil comparable à l'instrument de musique traditionnel. Comme le pianiste, comme le peintre, comme l'écrivain, le compositeur d'aujourd'hui jouit d'une liberté totale. Il peut "écrire" à l'heure qui lui plaît, il peut peaufiner les détails jusqu'à la perfection. Il peut laisser son travail en suspens, personne ne viendra modifier les réglages de ses appareils... Et cette liberté favorise l'apparition de musiques beaucoup plus personnelles, beaucoup plus proches de la personnalité de leur auteur.
Le rôle des institutions, on vient de le voir, a considérablement changé au cours de ces dernières années. De lieu de création, le studio est devenu peu à peu essentiellement un lieu de rencontres, un lieu de passage, où la part accordée aux échanges entre créateurs deviendra de plus en plus importante afin de conserver aux institutions un rôle primordial sur le plan intellectuel. Au fond, ces changements sont bénéfiques puisque les universités et les studios de création n'ont plus à se substituer aux écoles techniques professionnelles - la technique s'apprend très rapidement aujourd'hui et à n'importe quel âge -, leur mandat est ailleurs: il doivent travailler à la reconnaissance de cette musique et réfléchir autour de sa pratique.
2.4. Les pratiques électroacoustiques
On peut affirmer qu'il existe essentiellement deux types de pratiques (terme que nous préférons à celui d'«école» dans la mesure où les débats intellectuels de cette nature sont plutôt rares au Canada). Dans un premier temps, on retrouve la pratique qui s'inscrit dans la continuité historique de la musique instrumentale où un élément est rattaché à l'idée de l'interprétation - musique mixte, musique en direct, improvisation, etc. Dans un second temps, les musiques enregistrées en studio et projetées en salle sur orchestre de haut-parleurs[8] en l'absence d'éléments relevant du spectacle.
Ces deux pratiques se retrouvent toutes au Québec à divers degrés[9] mais la seconde, sous sa forme de diffusion surtout, est pratiquement inexistante ailleurs au Canada.
L'électroacoustique souffre d'un problème majeur, quoique paradoxal, depuis une quinzaine d'année au Canada, celui d'une très grande visibilité. En effet, par les actions combinées de la CEC , de la compagnie de disque empreintes DIGITALes , par les sociétés de concerts dédiées à cette musique, par la reconnaissance dont les compositeurs canadiens jouissent sur la scène internationale, on pourrait penser que tout va très bien. Mais c'est faux. Car toute cette activité est presqu'entièrement basée sur le bénévolat.
Si l'on compare les budgets alloués aux sociétés de concerts électroacoustiques (même en leur ajoutant les dépenses accordées par les autres sociétés de concerts à la production d'événements électroacoustiques) avec les budgets des sociétés de concert de musique instrumentale, on peut dire que TOUTE l'électroacoustique est marginale au Canada. Même en ne gardant, pour fins de comparaison, que les budgets des sociétés exclusivement dévouées à la musique contemporaine instrumentale, l'électroacoustique ne ramasse qu'un infini pourcentage des sommes publiques consacrées au soutien de la musique contemporaine dans son ensemble. Pour fins de comparaison et quoiqu'il soit très difficile de faire le décompte complet de l'argent consacré à l'électroacoustique (bourses individuelles, projets ponctuelles, etc.), notons que le Conseil des arts et des lettres du Québec, dans son dernier rapport annuel(1999-2000), a distribué 17 480 785$ à la musique, toutes pratiques confondues (artistes et organismes). L'ACREQ et Réseaux , les deux sociétés de concert électroacoustique du Québec ont reçu 59 000$ en tout et pour tout[10]. Ce qui représente 0,3 de 1% du budget annuel du CALQ consacré à la musique seule... Quant au CAC , la situation n'est guère enviable, puisque dans son dernier rapport annuel (pour l'exercice se terminant le 31 mars 2000[11]) le CAC déclare avoir consacré 21 092 000$ au secteur musique mais ne détaille pas les montants par organisme. On peut raisonnablement supposer que l'enveloppe globale affectée directement à la production de l'électroacoustique ne dépasse guère les 100 000-150 000$ ce qui ferait au mieux un pourcentage de 0,7 de 1%. Marginale l'électroacoustique vous avez dit?
À la lumière de la répartition budgétaire, il n'est pas étonnant que les sociétés actuelles de production électroacoustique aient des activités sporadiques et qu'à l'exception de Montréal , elles soient à toutes fins pratiques inexistantes ailleurs au Canada. Cela met en évidence un préjugé tenace à l'égard de cette musique, préjugé qui affirme que la tenue de tels concerts nécessite des sommes nettement inférieures à celles exigées pour un concert de musique instrumentale.
Cela est bien évidemment erroné: les salles coûtent le même prix, les systèmes de diffusion sonore de qualité coûtent chers, une bonne mise en marché est identique dans les deux cas, le personnel a le droit de recevoir les mêmes honoraires, etc. Mais la situation historique de l'électroacoustique, arrivée postérieurement à la musique instrumentale, fait en sorte que ses subventions stagnent très loin derrière celles de la première. Et cela sans tenir compte de la situation des orchestres de musique ancienne (auxquels nous associons les orchestres symphoniques) car tous ces ensembles font vivre des musiciens qui peuvent par la suite se consacrer, à temps partiel la plupart du temps, à la musique contemporaine.
2.6. De l'art d'interprétation
On peut affirmer que la majorité de l'électroacoustique qui se compose au Canada est une musique acousmatique. Or, cette musique étant très peu diffusée en concert (elle circule davantage par la radio, l'internet, ou le disque), il est difficile, pour un compositeur, de se considérer un interprète quand il se présente en direct deux ou trois fois dans l'année (les bonnes années...)!
2.7. De la présence des femmes
Si on regarde la composition actuelle de la CEC par exemple, on peut constater une présence des femmes plus qu'enviable si on la compare avec des domaines comme la composition instrumentale par exemple. Au cours du festival SuperMicMac (exclusivement consacrée à la musique de femmes) qui s'est tenu à Montréal à l'automne 2000, deux concerts étaient consacrées à l'électroacoustique. Et on n'a pas pu présenter tout ce qui s'offrait à nous. Certes la présence des femmes est nettement inférieure à celle des hommes mais la tendance générale va dans le sens d'une augmentation sensible. Est-ce l'accessibilité croissante des outils? Le fait que les femmes, en général, envahissent les territoires traditionnellement masculins comme ceux de la technologie dont l'électroacoustique fait partie? Sans doute un peu tout cela. On ne peut guère répondre adéquatement à cette question sans la poser dans un cadre sociologique beaucoup plus large et nous ne croyons pas que ce rapport soit le bon endroit pour le faire...
2.8. Compositeur ou artiste sonore
Le terme compositeur est associé à une démarche traditionnelle dont l'aboutissement ultime est la création d'uvres de concert dans un cadre bien délimité. Cette pratique est encore vivante et nous croyons qu'elle mérite toute l'attention nécessaire afin de se développer davantage. Mais l'émergence d'une technologie accessible à tous a permis l'éclosion de pratiques sonores fort différentes du concert. Aussi voit-on apparaître des artistes sonores, des artistes audio, des installeurs et autres sculpteurs sonores. Ces nouvelles pratiques, dénommées aussi de façon différente, mérite qu'on leur accorde davantage d'attention et qu'on se questionne sur leur positionnement face au CAC .
On peut en effet y voir le reflet d'une tendance de fond où des artistes sonores tentent de se démarquer non seulement de la musique de concert comme mode de représentation mais aussi, et peut-être surtout, de se distinguer quant à l'appartenance d'origine. On veut se démarquer de la notion même de musique en se réclamant des arts plastiques, de la vidéo ou de la performance.
D'un côté, on constate que les outils de création disponibles sont aujourd'hui partout les mêmes. L'internet permet aux gens qui vivent dans les régions les plus isolées de communiquer avec leurs collègues rapidement. Les mass média sont à peu près équivalents partout en Occident. D'un autre côté, on observe que les infrastructures nécessaires à la diffusion de l'électroacoustique sur la place publique, plus lourdes et plus complexes, n'ont guère changées au cours des années. Aussi, elles ne sont accessibles que lorsqu'une certaine masse critique d'auditeurs le permet. En conséquence, cela n'existe que dans les grandes villes, essentiellement Montréal (sur une base régulière), Toronto et Vancouver (sur une base plus ponctuelle) au pays.
3. GAGNER SA VIE
En électroacoustique, sur le plan monétaire, il n'y a rien de comparable au milieu de la musique instrumentale - possibilité de jouer dans un orchestre, enseignement, etc. -, aussi les jeunes compositeurs sont-ils condamnés à survivre d'expédients pendant des années avant de seulement envisager que leur musique les fasse vivre. En fait, à une ou deux exceptions près, aucun compositeur canadien d'électroacoustique ne vit exclusivement de sa musique.
Il faut faire une distinction importante entre gagner sa vie grâce à sa pratique et gagner sa vie grâce à son travail de compositeur. En effet, les compositeurs d'électroacoustique jouissent d'un avantage certain sur leurs collègues instrumentaux puisqu'ils possèdent des outils de production qui les rendent aptes à effectuer mille métiers connexes à la composition - pré-production de maquettes musicales, post-production et effets sonores pour le cinéma, la télévision ou le multimédia, etc. - ou reliés à la composition de musique de scène - théâtre, cinéma, danse, télévision, etc. Mais si ces gagne-pain permettent à plusieurs compositeurs de vivre, cela a des conséquences sur la présence de ceux-ci sur la scène de concert. En effet, les travaux connexes demandent du temps et de la concentration qui éloignent les compositeurs de leur activité principale si bien qu'à terme, beaucoup n'y reviendront pas. Combien de compositeurs de talents ont disparus de la scène depuis vingt ans?
3.2. Les bourses et les commandes
Sur le plan de leur métier de compositeur, il n'y a guère que les programmes de bourses et, dans une moindre mesure les programmes de commandes qui puissent répondre à leurs attentes. Du côté des bourses, les programmes disponibles se sont améliorés au cours des années et en plus de ceux offerts par le programme de musique, il existe des programmes en arts médiatiques, par exemple, qui permettent à des pratiques plus marginales que la composition de musique de concert - concert sur la toile, art radiophonique, écologie sonore, etc. - de trouver une oreille sans doute plus attentive de ce côté-là que du côté des jurys de musiciens qui s'y retrouvent difficilement.
Du côté des commandes, c'est plutôt le désert, non pas tant parce que l'argent n'y est pas, mais tout simplement parce que très peu d'organismes font des commandes d'uvres électroacoustiques. Il faudrait par ailleurs connaître le taux de réussite de celles-ci afin d'évaluer si les compositeurs d'électroacoustique sont bien servis par ce programme. Mais d'une manière ou de l'autre, ce n'est pas le «pactole» et il est clair qu'aucun compositeur ne peut espérer plus d'une ou deux commandes par année (au maximum), ce qui est très peu pour en vivre.
En fait la situation de l'électroacoustique de concert est extrêmement difficile parce que, selon nous, les cordons de la bourse appartiennent aux décideurs de la musique instrumentale pour qui l'électroacoustique est au mieux, une pratique marginale, au pire du bricolage. Pourtant si on faisait une étude exhaustive du «rendement»[12] de cette dernière on se rendrait vite compte qu'elle est beaucoup plus performante et plus visible[13] que son ancêtre si on tient compte des faibles moyens dont elle dispose.
3.3. La communauté électroacoustique
À cause de la structure éducationnelle des studios institutionnels, il n'y a pas à proprement parler de «communauté» électroacoustique véritable au Canada en dehors de Montréal. Dans cette ville en effet, on constate une masse critique suffisante de compositeurs pour envisager de produire des événements exclusivement destinés à celle-ci. On a vu ainsi dans le passé un public spécialisé se présenter à des rencontres, des conférences ou des ateliers offerts par l'une ou l'autre des institutions électroacoustiques.
Cependant, le fait que la communauté électroacoustique ait été l'une des premières branchées sur l'internet a permis à des individus isolés dans leur ville respective d'être relié au monde et à leurs collègues de façon beaucoup plus tangible qu'autrefois. On peut dire que la communauté électroacoustique est plus virtuelle que réelle.
Il se passe cependant un phénomène nouveau depuis quelques années, c'est l'émergence d'une culture électronique underground qui partage avec la culture académique les mêmes outils et les mêmes modes de production. Quoique parfois des ponts se dressent entre les deux cultures, pour l'instant ces contacts restent marginaux. Mais il se pourrait que la circulation soit de plus en plus intense et qu'ainsi le CAC voit arriver dans ses programmes de subventions des compositeurs plus près de la musique populaire que de la musique savante. Comment ceux-ci seraient-ils alors traités? Nous croyons qu'ils rencontreraient les mêmes difficultés de reconnaissance que l'électroacoustique a connu pendant des années.
3.4. Le programme Audio en arts médiatiques
Il existe des pratiques électroacoustiques si éloignées du concert traditionnel que certains artistes se sont tournés avec succès du côté des arts médiatiques afin de présenter leurs projets de création. À une certaine époque, les compositeurs électroacoustiques n'avaient même pas d'autres choix véritables, tellement leurs demandes étaient systématiquement refusées au secteur musique. Les choses ont changées grâce à l'intervention d'agents du programme de musique sensibles aux nouvelles problématiques du milieu[14]. Et il est vrai qu'on imagine mal le CAC tenir aujourd'hui un jury de musique sans la présence d'un représentant de l'électroacoustique. Mais cela n'en fait jamais qu'un et pour défendre des dossiers se situant à la marge de différentes pratiques, c'est souvent trop peu. Il arrive encore aujourd'hui que des organismes de concert se voient refuser une part importante de commandes.
Il est donc naturel et à notre avis essentiel, qu'il existe différentes portes d'entrées dans les programmes du CAC qui puissent représenter des ouvertures à des pratiques sonores bien éloignées du concert en toxedo...
4. DIFFUSION DE LA MUSIQUE
4.1. Les moyens traditionnels de diffusion
Depuis l'invention du disque compact, l'électroacoustique a trouvé son moyen idéal de diffusion de masse. Il y a des centaines de disques compacts d'électroacoustique[15] qui ont été produit depuis quinze ans et ils circulent à travers des réseaux de disquaire et de distributeurs underground souvent plus efficaces et plus enthousiastes que les filières traditionnelles. Cela ne fait pas pour autant des ventes astronomiques et les producteurs de disques, pour la plupart dilettantes[16], font rarement leurs frais. En fait, sans les subventions on peut difficilement imaginer que cette petite industrie puisse survivre.
La radio a toujours été un allié de l'électroacoustique. Mais il semble que la loi des deux solitudes joue ici à fond. En effet, là où à Radio-Canada on trouve des émissions spécialisées (diffusées cependant à des heures confidentielles) ainsi que des pièces électroacoustiques qui se glissent dans la grille horaire régulière, il semble qu'à la CBC en dehors de la vénérable émission Two New Hours , il y ait bien peu de traces de l'électroacoustique ailleurs que le dimanche soir. C'est alors plutôt du côté des radios communautaires qu'il faut se pencher car c'est de là que vient le plus grand dynamisme et la plus grande ouverture d'esprit.
Enfin, il y a le concert. À Montréal, les deux sociétés de concerts - l'ACREQ et Réseaux [17] - présentent des concerts électroacoustiques sur une base régulière au cours de la saison, mais ailleurs au Canada, il semble que ce soit plutôt l'exception que la règle. De temps à autre, les sociétés dédiées à la musique contemporaine incluront une uvre ou deux dans leur programmation, au mieux un concert complet, mais cela reste marginal et ne permet certainement pas de créer des habitudes d'écoute et de fréquentation.
Essentiellement, par le biais d'internet, de nouvelles façons de diffuser la musique sont apparues depuis quelques temps. À l'heure actuelle, les bandes passantes et les vitesses de communications sont trop basses pour satisfaire pleinement les critères de qualité d'une production professionnelle. Mais cela devrait changer très rapidement, la toile évoluant à la vitesse que l'on sait. Cela permet de court-circuiter les réseaux de médias traditionnels en libérant les outils de communication et de circulation des musiques.
Par exemple, sur le plan de la production discographique, on sait très bien que la difficulté principale ne réside plus dans la production de l'objet (plus ou moins à la portée de toutes les bourses) mais bien plutôt dans la difficulté de le faire connaître et de le faire circuler. Là où l'internet joue actuellement un rôle actif, c'est dans la diffusion d'informations. Il ne semble pas que cela ait changé quoi que ce soit dans la vente elle-même[18] mais l'information est disponible du bout d'un clic de souris.
À notre connaissance, et sauf exception, les compositeurs ne sont présents dans les festivals d'arts médiatiques qu'à la condition d'y présenter une uvre... d'art médiatique. Autrement dit il n'y pas de concerts dans ces festivals[19]. Et dans les festivals musicaux, il est également très rares qu'il y ait des concerts d'électroacoustique et quand il y en a, ils sont présentés dans des lieux inadéquats et dans des conditions de travail inacceptables[20].
L'électroacoustique est une discipline musicale à part de la musique instrumentale et sa présentation en concert obéit à une autre logique, à d'autres lois et nécessite d'autres moyens qui lui sont propres. Ces éléments sont rarement compris par les producteurs de concerts traditionnels.
À l'étranger
La reconnaissance de l'électroacoustique canadienne sur la scène internationale est en chute libre depuis quelques années. Pour un peu qu'on accorde quelque crédibilité à la présence des compositeurs canadiens dans les palmarès des concours internationaux comme une sorte de barème de sa présence sur la scène internationale, elle a fondu comme neige au soleil depuis la seconde moitié des années quatre-vingt-dix. Nous croyons que cela est dû au fait de la baisse de l'engouement des années quatre-vingt. En effet, au début tout était à construire et les compositeurs travaillaient d'arrache-pied dans des conditions souvent très difficiles pour créer des uvres marquantes. Même constat du côté des organismes et des sociétés de concerts. Mais la société n'a pas suivi et les compositeurs de cette génération se sont un peu repliés sur leurs acquis, souvent épuisés, alors que ceux de la nouvelle génération se tourne délibérément du côté des pratiques populaires, y voyant là, sans doute, des perspectives d'avenir plus réjouissantes.
Pour remonter la pente, il faudra amorcer un sérieux virage afin de redonner au Canada une place qu'il a perdu depuis quelques temps. En fait, il faut faire la distinction entre le dynamisme des artistes et celui de la société qui les porte. Les artistes sont toujours aussi créatifs, aussi inventifs, aussi progressistes mais ils n'ont absolument pas le support nécessaire pour s'épanouir. Et cela se manifeste clairement dans la jeune génération qui n'y «croit» plus. C'est-à-dire qu'elle ne s'implique plus sur la scène de concert lui préférant nettement la scène underground parce qu'elle y trouve une satisfaction immédiate[21]. Mais autant cela est vrai, autant cela peut avoir un effet pervers à long terme car la scène underground est volatile et sujette aux effets de mode. Aussi la scène de l'électroacoustique de concert doit-elle être supportée, encouragée, valorisée car c'est elle qui traverse le temps et les tempêtes locales.
Au pays
De plus le Canada est un pays à la géographie problématique pour la scène culturelle. Organiser une tournée dans ce pays revient à dépenser pratiquement tout l'argent disponible de la culture... en billets d'avion! Mais y a-t-il d'autres solutions? On peut difficilement imaginer que tous les centres d'électroacoustique au pays, tous les endroits qui possèdent d'une manière ou d'une autre des infrastructures mêmes minimes, puissent se doter d'équipements de diffusion permanents. Alors pourquoi certains groupes mieux constitués ne se chargeraient pas, en accord avec les agents locaux, de produire des tournées nationales. À l'heure actuelle, tout manque pour le faire: les société de concerts établies ont des moyens faméliques et les centres locaux n'ont pratiquement aucun moyen. La scène canadienne est donc désertée.
Enfin, il faut noter que si les compositeurs canadiens sont régulièrement invités à l'étranger (ce dont le pays tire certainement une grande fierté...), il nous est très difficile de rendre la pareille à nos collègues étrangers. En effet, l'absence totale d'infrastructures de production et de diffusion indépendantes des institutions d'enseignement a comme conséquence qu'il n'existe pas au pays actuellement de lieu d'accueil permettant aux artistes étrangers de venir travailler ici et de faire montre de leur savoir faire. Cette pratique est pourtant courante en danse et en théâtre mais en électroacoustique, après que nous eussions réussi à payer les frais de séjour minimaux d'une semaine pour un compositeur étranger, c'est le vide. Il n'y a pas de studios d'accueil, pas de centres de recherche. Nous sommes le tiers-monde de l'électroacoustique sur ce plan.
Il est difficile de parler de l'Europe tant les pratiques y sont diversifiées d'un pays à l'autre. Essentiellement, le seul ensemble de pays qui se compare au Canada est le Royaume-Uni car là-bas comme ici, l'électroacoustique y est enseignée dans les universités et les organismes de concerts sont subventionnées par le British Council qui est le modèle du CAC . Ailleurs en Europe francophone, la situation est radicalement différente puisque la France comme la Belgique ont consacré des sommes importantes à la création de studios de production et de recherche indépendants de la structure scolaire. Ainsi se sont formés des groupes autonomes qui organisent des concerts, favorisent la création et génèrent une activité extra-muros inexistante ici, le Canada n'ayant, en effet, jamais privilégié cette approche.
Dans les pays scandinaves où cette pratique a déjà été reconnue comme une des meilleures au monde, la situation s'est beaucoup détériorée depuis quelques années à cause de coupures budgétaires importantes. Enfin dans l'ex-bloc de l'est la situation si elle n'était pas rose avant la chute du mur de Berlin permettait au moins à certains compositeurs de travailler dans des studios pour la plupart rattachés à des radios nationales. Aujourd'hui leur situation est si pitoyable que toute comparaison ne peut que nous mettre en valeur.
Globalement on peut dire que la situation de l'électroacoustique est la même partout, c'est-à-dire qu'elle est marginalisée par rapport à l'institution musicale. Et que les pratiques émergeant de la culture populaire se répandent partout de la même manière. Quant à sa relation avec les arts médiatiques, elle en est plus souvent qu'autrement le parent pauvre qui se contente d'accompagner le visuel. Selon nous, il n'y a pas de réflexion sur la pratique de ces derniers qui soient transférable du côté de l'électroacoustique, tout simplement parce que cette dernière relève du sonore alors que les premiers relèvent plutôt du visuel et que par, conséquent, les modes de création sont complètement différents[22].
La lacune la plus importante que l'on peut constater au Canada sur le plan de la diffusion de l'électroacoustique sur la place publique tient dans l'absence quasi complète de lieux de diffusion. Autant le monde des arts visuels possèdent un réseau de galeries, autant le monde de la musique traditionnelle possède des salles de concerts, autant le monde de la vidéo d'art possède des centres de production et de diffusion, autant l'électroacoustique ne possède rien. Il n'existe en effet au Canada aucun centre dédié à la production et à la diffusion de l'électroacoustique. Les quelques centres apparentés (Méduse à Québec, PRIM à Montréal, Werstern Front à Vancouver) sont dédiés au pluri-disciplinaire, ce qui illustre clairement que cette problématique ne semble pas avoir été abordée au secteur Musique, ou alors sans donner de résultats probants, tant celui-ci est associé à des modes traditionnels de production et de diffusion musicale.
Il existe actuellement un engouement pour la pratique électroacoustique, on peut le voir dans le public qui assiste aux concerts depuis quelques années, qui vient probablement de l'exposition des jeunes à des sonorités et à des modes de production apparentés à l'électroacoustique et qui y voient là une forme, certes un peu différente, mais apparentée à leur pain quotidien. Or nous n'avons pratiquement aucun moyen de les rejoindre sur une base régulière au pays ailleurs que dans les grands centres et encore, avec des moyens très limités. Le CAC ne peut exiger de la communauté électroacoustique des efforts de développement de public sans lui en donner les moyens.
5. LA C.E.C.
La Communauté Électroacoustique Canadienne est née en 1987[23] de la volonté d'un groupe de compositeurs, d'auditeurs et de producteurs de se doter d'une association nationale qui les représente et qui diffuse à ses membres des informations les concernant [24] . On l'oublie trop souvent, le Canada est un pays immense où la communication réelle est très difficile. Il est en effet moins coûteux pour un québécois de se rendre à Londres ou à Paris que de visiter ses collègues de Vancouver! La CEC a permis aux compositeurs canadiens de se rencontrer chez eux, en dehors du festival de Bourges en France[25]. Elle a permis de tisser des liens durables entre les acteurs des différentes régions au pays et à ses membres de recevoir des informations qui leur ont ensuite permis de se faire connaître sur la scène internationale. La notoriété de l'électroacoustique canadienne a d'ailleurs connu une hausse importante après la création de la CEC qu'on peut sans hésiter associer au travail de ses premiers artisans.
Disons-le d'emblée, la CEC est et demeure une association dynamique, active et essentielle à la vie de l'électroacoustique au Canada. À cet égard, beaucoup des questions posées par le CAC relève d'une certain méfiance incompréhensible pour qui connaît le milieu. Mais peut-être justement que le milieu n'est pas si bien connu qu'on l'imagine au CAC, aussi essaierons-nous de clarifier certains aspects entourant la CEC et plus particulièrement sa pertinence dans le paysage culturel canadien.
Le rôle de la CEC est d'abord et avant tout celui de la communication. Elle diffuse de l'information de service - festivals, conférences, rencontres, programmes de bourses, offres d'emploi, etc. -, qui est une partie de son mandat (qui est d'autant facilité que la très grande majorité de ses membres est branchée sur le courriel) mais pas seulement. Elle a aussi un rôle de lobbyiste auprès des différentes instances gouvernementales où elle fait valoir le point de vue de ses membres afin d'infléchir les politiques culturelles en fonction de ses besoins. Il est clair qu'à cet égard la situation de l'électroacoustique avant la CEC et après sa fondation relèvent de deux histoires radicalement différentes tant la situation était catastrophique avant 1987. Il faut en effet se rappeler qu'avant cette date l'électroacoustique n'avait pratiquement pas droit de cité sur la place publique, que les compositeurs qui la pratiquaient ne recevaient pas de bourses, que les sociétés qui produisaient des concerts le faisait avec des moyens dérisoires et que la communication en général était inexistante. La CEC a clairement contribué à redresser la barre dans tous ces domaines au cours des douze ou treize premières années de son existence. Il faut marquer, en effet, une autre date - 1997 - car elle correspond au moment où le CAC a cessé de subventionner la CEC la laissant sans ressources financières régulières pour continuer le travail si bien amorcé de ses fondateurs.
Enfin, la CEC a joué un rôle de premier plan en organisant sur une base régulière des rencontres nationales d'électroacoustique où tous et chacun avaient l'occasion de se rencontrer, de discuter, de faire des représentations auprès de leurs dirigeants et surtout de permettre que des liens très étroits se tissent entre toutes les régions du pays. La dernière de ces rencontres a eu lieu en 1991 faute de moyens. La disparition de cette activité importante a diminué de façon évidente et significative le sentiment d'appartenance à l'organisation qui demeure pour beaucoup, notamment chez les jeunes qui n'ont pas connu les Journées CEC , un peu lointaine et mystérieuse.
Actuellement la CEC communique avec ses membres sur la base unique de l'internet. Autant par la liste CECDiscuss que par son site web, elle diffuse ainsi des informations utiles pour ses membres sur les concerts, les conférences, les rencontres, les appels d'uvres etc. En fait, au cours des années, les outils employés se sont réduits considérablement, la CEC, encore une fois faute de moyens, ne publie plus de matériel imprimé et le bilinguisme affiché des premières années - toujours aussi difficile à gérer, spécialement en réunion, mais qui avait contribué grandement à rapprocher les deux solitudes - n'est plus de mise, faute de personnel pour faire le travail.
La CEC a tout de même réussi à diversifier ses opérations en cherchant dans les programmes de bourses disponibles des outils pour l'aider à continuer son travail de diffusion et la production de quelques projets, de production discographiques notamment, qui ont permis à des compositeurs moins connus ou moins publiés, de voir leurs uvres circuler dans des compilations distribuées partout à travers le monde[26].
La CECDiscuss possède environ 400 membres dont une proportion importante est internationale. Il est clair que de ce point de vue, la place qu'occupe la CEC sur la scène internationale est unique. Aucune autre organisation nationale n'offrant ce genre de forum public à l'ensemble de la planète.
Enfin, elle a investigué de nouveaux outils de production notamment le journal électronique eContact! et la diffusion d'uvres sur internet par le WEBradio .
Il faut souligner ici l'importance de l'Université Concordia dans le paysage. En effet, sans le soutien constant de cette institution où la CEC est née au milieu des années quatre-vingt, l'organisme serait itinérant, probablement installé dans quelque sous-sol et dans l'ordinateur d'un individu dévoué[27]. Quel portrait! Et pourtant, il est le reflet de la réalité. On n'imagine très certainement pas à l'étranger l'état d'indigence dans lequel se retrouverait la CEC sans la présence de Concordia. Est-ce là-dessus que compte le CAC pour que la CEC soit dynamique et efficace et que le Canada ait une image de marque à l'étranger?
Pour avoir une vue d'ensemble complète de la situation, nous renvoyons le lecteur au texte que Rosemary Mountain , l'actuelle présidente de la CEC, a écrit sur l'association dans le cadre de l'enquête sur les organismes de services. Nous n'en conservons ici que certains aspects les plus essentiels[28].
La CEC dessert une pratique fort différente de celles couvertes par les autres organisations de services au Canada. Plusieurs d'entre nous, membres également du Centre de musique canadienne par exemple, n'avons guère le sentiment que celui-ci fasse quoique ce soit pour défendre nos intérêts et nos uvres. Même sentiment du côté de la Ligue canadienne des compositeurs qui fait des appels d'uvres à chaque année pour les Journées mondiales de la musique , par exemple, et qui échoue à chaque fois à faire accepter les uvres électroacoustiques canadiennes (ce mandat devrait être dévolu à la CEC depuis longtemps). Aussi, nous ne croyons pas que la CEC chevauche de manière significative les activités des autres organisations de services au Canada.
Ce qui distingue clairement la CEC des autres organismes, c'est qu'elle ne fait la promotion des uvres de ses membres - choisis par un comité de sélection, comme le fait le CMC par exemple - mais fait la promotion de l'électroacoustique comme discipline dans son ensemble. Elle ne défend pas d'intérêt particulier, elle défend une cause. Elle ne s'érige pas en bastion d'un groupe d'intérêt mais elle accueille tous ceux et celles qui veulent en faire partie quelque soit leur origine, leur pratique ou leur sexe.
La CEC est un organisme dont n'importe qui peut devenir membre. Il est clair que dans le passé le recrutement s'est fait essentiellement autour des structures académiques du pays puisque c'était là que l'électroacoustique se produisait. Aujourd'hui, la situation évoluant dans le sens d'une pluralité des origines, il n'est pas certain que le membership de la CEC reflète cette nouvelle situation de façon fidèle. Pourtant il y aurait lieu que des rapprochements se fassent et la CEC, étant la seule organisation nationale, est très certainement la mieux habilitée à le faire, d'autant plus qu'elle ne prend fait et cause pour aucune attitude esthétique et ne privilégie aucune pratique en particulier. Mais ce rôle, la CEC ne pourra le jouer qu'à condition d'en avoir les moyens. Si le passé est garant de l'avenir, il est évident que la CEC possède le dynamisme et l'imagination pour rejoindre les gens intéressés mais sans moyens pour la soutenir, on peut émettre de sérieux doutes sur les chances de succès.
Certains des projets récents de la CEC comme le Young Emerging Artists permettent à celle-là d'acquérir une visibilité auprès d'une clientèle nouvelle grâce à la publication d'uvres d'artistes en devenir qui, sans la CEC, n'auraient aucune autre tribune, surtout d'envergure internationale, pour diffuser leur travail.
Chez nos voisins du Sud, la Society for Electro Acoustic Music of the United States fonctionne sur un modèle apparenté à la CEC mais avec une masse critique de membres au moins dix fois plus grande. Ils organisent une réunion annuelle qui est présentée à chaque fois dans une ville différente. Cette organisation est très proche du milieu académique universitaire. Ils font également la promotion de la jeune musique en organisant un concours destiné aux jeunes.
La société européenne qui ressemble le plus à la CEC est sans doute le Sonic Arts Network au Royaume-Uni dont quiconque peut devenir membre en payant sa cotisation. Elle fait la diffusion de l'information et offre des services à ses membres. Mais elles est également productrice d'événements comme une rencontre annuelle, semblable à celles que la CEC organisait au tournant des années quatre-vingt, où elle passe des commandes à certains compositeurs. Elle possède un budget d'opération de 400 000$ annuellement... dont environ la moitié provient du British Council . Elle a actuellement 300 membres. Elle s'occupe aussi d'activités pédagogiques ce qui met en lumière, à notre avis, l'une des plus grandes lacunes que l'on peut observer au Canada. En effet, en dehors des institutions universitaires, réservées par définition à une élite, il n'y aucun centre où l'apprentissage de cette pratique puisse se faire au pays en dehors d'un cadre pédagogique traditionnel.
La fédération belge (Febeme/Befeme ) est plus «élitiste» car ne peuvent en devenir membres que les compositeurs sélectionnés par le bureau de direction. Organisation de concerts, site internet d'informations sur les membres, réunification de leurs deux solitudes, la flamande et la wallonne.
Ars Sonora en France est une association basée sur le membership dont le rôle est essentiellement la publication d'une revue d'esthétique proche de la pratique acousmatique.
Sur le plan international, il existe encore deux «fédérations de fédérations» dont la plus ancienne est la Confédération Internationale de Musique Électroacoustique (CIME ) (la plus ancienne des deux) et qui représente officiellement l'électroacoustique à l'UNESCO . Basée autour du groupe de Bourges en France, son rôle est essentiellement honorifique aujourd'hui et plusieurs fédérations nationales, dont la CEC, s'en sont dissociées. Et de ces désaffections est née une seconde confédération, la New International Confederation of Electroacoustic (NICE ) qui regroupe quelques fédérations européennes. Guère plus dynamique que la précédente, elle semble avoir un caractère plus honoraire qu'autre chose.
On le voit, la CEC se positionne avantageusement sur l'échiquier mondial, d'autant plus que son activité et son dynamisme se font sans support régulier de l'état, comme c'est le cas ailleurs, notamment au Royaume-Uni.
Par la promotion de projets axés sur internet, par les appels d'uvres auprès de la jeune génération, par les commandes d'articles autour de sujets particuliers comme la situation des femmes compositrices au Canada ou encore l'histoire de cette pratique, la CEC reste étroitement en contact avec ses membres.
Toutes les activités de la CEC qui ont reçues à des degrés divers une forme de subvention au cours des dernières années ont été menées à bien et ont obtenu un succès certain. Il nous semble que si le CAC se penche sérieusement sur la question, il ne pourra parvenir qu'aux mêmes conclusions.
Nous croyons cependant que cette activité «virtuelle» devrait être complétée par des activités réelles au nombre desquelles nous plaçons les rencontres annuelles comme primordiales. Et ce type d'événement, comme le fonctionnement annuel, demande du personnel et par conséquent des subventions sur une base régulière et récurrente.
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
Un programme spécialisé en électroacoustique
Attendu que:
- la multiplication des activités au pays est paralysée à cause du retard pris par le CAC dans la reconnaissance de cette pratique; - le nombre sans cesse croissant d'artistes qui se réclame à un titre ou à un autre de cette pratique; - la diversité de plus en plus grande des différentes pratiques artistiques; - la pratique de l'électroacoustique n'a rien à voir avec celle de la musique instrumentale (conditions de production, coûts de matériel et de studio, etc.); - l'électroacoustique est très étroitement liée à la technologie qui n'est absolument pas prise en compte dans le programme de musique; - le constat qui est fait de l'incapacité des jurys actuels en musique d'évaluer correctement les différentes approches et pratiques de l'électroacoustique; - l'absence complète d'infrastructures de production et de diffusion indépendantes des institutions d'enseignement; - l'essentiel des activités du secteur Musique du CAC est tourné vers les modes de création et de production musicale hérités du XIXe siècle; - les problématiques soulevées par l'électroacoustique sont d'une nature radicalement différente de celle de la musique traditionnelle;
nous proposons que le CAC crée un programme dévolu à l'électroacoustique incluant l'acousmatique, l'art sonore, l'art radio, l'acousmatique, l'art sonore, l'art radio).
Le déséquilibre actuel entre les deux pratiques musicales - l'instrumentale et l'électroacoustique - est si important que ce n'est pas en réaménageant les programmes actuels qu'on y changera quoi que ce soit de façon significative.
Afin de compenser pour le déséquilibre historique, il faut créer de toute pièce un programme qui tienne compte de la réalité nouvelle de cette musique au pays. Il faut que le Conseil donne une impulsion de premier ordre à une musique qui est hyperactive mais qui survit grâce au bénévolat de quelques individus. Ainsi les commandes, les bourses d'artistes, les subventions aux organismes, les bourses de voyages seraient évalués par des jurys de pairs. Demande-t-on aux gens de théâtres d'évaluer des projets de films? L'électroacoustique est aussi distincte de la musique instrumentale que le cinéma l'est du théâtre. Il est temps à notre avis que le Conseil en tienne compte et que sa structure de subvention en soit le reflet[29].
Ce nouveau programme pourrait être intégré dans le secteur de la musique mais bénéficierait de bourses distinctes et de date de tombée lui appartenant en propre. Nous ne croyons pas que notre rôle consiste à décrire les modalités détaillées de fonctionnement de ce nouveau programme, mais nous ne voyons pas comment ou de quelle autre manière le CAC pourrait répondre aux besoins actuels de la communauté électroacoustique tellement les services offerts en ce moment sont à des années-lumière de répondre à la demande.
Subvention de fonctionnement pour la CEC
Attendu que:
- l'association est très largement reconnue, autant parmi ses membres qu'à l'étranger, comme une organisation modèle; - tous les projets qu'elle a menés dans des conditions parfois dérisoires ont été un succès; - la communauté électroacoustique souffre aujourd'hui de la virtualité de la CEC; - les bénévoles qui uvrent au maintien de la CEC sont épuisés et qu'une société ne peut construire des institutions culturelles fortes sur la base exclusive de bonnes volontés individuelles; - la formation et l'apprentissage de l'électroacoustique au Canada sont inexistants en dehors des centres universitaires et qu'aucun développement de public ne peut exister sans la fréquentation active de cette pratique par un public plus large que celui de la clientèle universitaire; - les rencontres réelles sur une base régulière sont des éléments clés de la vitalité d'une telle pratique au Canada;
nous recommandons que la CEC soit subventionnée au fonctionnement par le CAC.
L'action de la CEC a été primordiale au Canada et sans elle, la situation de l'électroacoustique ne serait absolument pas la même. Malheureusement au cours des cinq dernières années, la CEC, privée de toute subvention de fonctionnement, a dû se contenter de survivre. Les artistes ne s'y sentent plus aussi liés puisqu'ils ont tous les mêmes moyens pour connaître les informations de base et puisqu'aucune rencontre n'a eu lieu depuis dix ans, le sentiment d'appartenance est au plus bas.
Il existe actuellement une fracture entre la génération qui a bénéficié de l'émergence de la CEC et de ses dix premières années d'existence, et celle qui est apparue sur la scène professionnelle depuis cinq ans. La première continue de vivre sur ses acquis, alors que la seconde est privée de pratiquement tout. À notre avis il n'y a que la CEC qui puisse à nouveau jouer un rôle de rassembleur auprès de la vaste communauté électroacoustique canadienne indépendamment des esthétiques, de la provenance ou de la génération. Ce rôle est fondamental pour la société canadienne et la responsabilité du CAC est de fournir à la CEC les moyens pour que celle-ci veille au grain.
Un nouveau nom: le Programme Électro
Nous faisons enfin une dernière suggestion à la suite des nombreuses remarques qui nous ont été faites au cours de ce processus, c'est celui de baptiser le nouveau programme Électro . En effet, le terme électroacoustique a finit par se vider de son sens avec le temps et il est trop connoté historiquement (et il a une sonorité trop technique). Cela permet de répandre un terme qui est un diminutif plus sympathique, comme le cinéma l'avait fait avant lui. De plus le mot Électro a l'avantage de pouvoir être accolé à toutes sortes de pratiques indépendamment de considérations esthétiques (l'acousmatique, l'art sonore, l'art radio) ou technologiques (l'acousmatique, l'art sonore, l'art radio). Enfin, à un accent près, il est le même en français qu'en anglais.
Robert Normandeau Compositeur et professeur à l'Université de Montréal
Remis au Conseil des arts du Canada 9 février 2001
[1] La liste des noms des personnes sollicitées apparait en annexe.
[2] Quoique le nom de la Communauté Électroacoustique Canadienne (CEC) y soit associée, ce groupe de discussion n'en est pas une activité officielle. Elle résulte plutôt d'une initiative personnelle de Kevin Austin. Elle regoupe l'ensemble des gens qui désirent y souscrire indépendemment de leur appartenance ou non à la CEC et de leur citoyenneté. La CECDiscuss n'est pas une activité officielle de la CEC notamment parce qu'elle n'est pas bilingue et n'a pas les moyens de le devenir.
[3] On trouvera en annexe l'ensemble des réponses reçues.
[4] Nous savions que par ailleurs un autre rapport serait rédigé sur les organismes de service aussi n'avons-nous abordé la situation de la CEC qu'en ce qu'elle nous éclaire, d'une manière ou de l'autre, sur la situation de l'électroacoustique en général.
[5] On trouvera un historique détaillé en annexe. Cet historique nous a été gracieusement fourni par la CEC.
[6] Digital Audio Tape
[7] Pour référence: http://www.rien.qc.ca
[8] Au Québec on utilise couramment le vocabe acousmatique pour désigner cette pratique.
[9] N'oublions pas que les deux seules sociétés de concerts électroacoustiques canadiennes - l'ACREQ et Réseaux - sont à Montréal.
[10] Source: http://www.calq.gouv.qc.ca/fr/corporatif/bourses.htm#s0001
[11] Source: http://www.conseildesarts.ca/conseil/rapportsannuels/1999-2000/pdf/partie-6.pdf
[12] Nous ne pensons pas que l'électroacoustique, ni aucune forme d'art puisse s'évaluer au «rendement» et c'est la raison pour laquelle le terme est mis entre guillemets. Mais nous aimerions souligner et désapprouver cette tendance fâcheuse qui consiste à emprunter à l'industrie culturelle des approches qui ne s'appliquent pas ici.
[13] Il faudrait se poser la question suivante: combien de compositeurs canadiens de musique instrumentale sont connus et leurs musiques jouées à l'étranger en comparaison de ceux de l'électroacoustique? Quiconque a déjà voyagé en Europe ou aux États-Unis connait déjà la réponse qui est largement défavorable au monde instrumental, et cela malgré des moyens écrasants en comparaison.
[14] Sans vouloir personnaliser le débat, nous aimerions tout de même souligner à cet égard le travail de Jean Piché et de Jon Siddall.
[15] Dans le répertoire Électro CD publié par Annette Vande Gorne et consacré exclusivement à l'électroacoustique, il y a actuellement plus de 800 titres répertoriés et plus de 170 en attente de l'être!
[16] La plupart des producteurs de disques sont en fait des studios de création ou les universités qui voient davantage dans cette activité un élément de rayonnement qu'une activité commerciale.
[17] Auxquelles il faut ajouter les concerts - nombreux - produits par les institutions d'enseignement. Mais dans le cadre de ce rapport nous avons voulu nous limiter aux organismes professionnels.
[18] Selon Jean-François Denis notamment, des disques empreintes DIGITALes.
[19] Même le festival Ars Electronica en Autriche ne produit pas systématiquement de concerts pour présenter les oeuvres lauréates de son propre concours... Quant à ISEA, depuis celui tenu à Montréal en 1995 où l'électroacoustique avait une part importante, elle s'y est réduite comme peau de chagrin.
[20] Les World Music Days par exemple font la part congrue à l'électroaocustique et toujours dans des conditions dignes des années soixante-dix... au Canada.
[21] Et cela malgré les efforts conjugués de l'ACREQ, de Réseaux et de la CEC pour encourager et diffuser les uvres de la jeune génération.
[22] On commence cependant à voir émerger des outils de production numériques destinés à la synthèse et au traitement d'images qui sont comparables à ceux qui existent déjà dans le domaine sonore. Ces nouveaux moyens étant à la portée de tous génèreront certainement des uvres où les deux pratiques - sonore et visuelle - adopteront les mêmes modes de production.
[23] Pour un historique complet, voir l'annexe Profile of Organization - Expanded Timeline
[24] Pour les statuts et l'organisation, voir l'annexe Profile of the CEC Organization
[25] Le festival de Bourges en France, qui a fêté en 2000 son trentième anniversaire, a toujours été accueillant pour les compositeurs canadiens qui s'y rencontraient plus souvent qu'au Canada!
[26] Pour avoir une idée complète des projets de la CEC, voir l'annexe Profile of Organization - Expanded Timeline
[27] Nous ne disons que son activité actuelle se réduit à cette fonction, mais que sans l'aide des bénévoles et sans l'appui de Concordia, la CEC serait probablement moribonde.
[28] Rappelons au passage que la CEC possède un site web très détaillé sur lequel on trouve une foule d'informations pertinentes: https://cec.sonus.ca
[29] L'expression musique électroacoustique n'a d'ailleurs pas été utilisée une seule fois dans ce rapport. Est-ce que cela vous a gêné?
Social top