Lélectroacoustique au Canada
juillet 1999
[Texte écrit pour le 40e anniversaire du Centre de musique canadienne (CMC)]
Situation actuelle
Je classe le développement de cet art, au Canada, en trois temps; chaque pays dOccident aura sa démarche propre et unique.
La première, celle de la musique expérimentale, de la musique électronique, où prime la notion de nouveauté instrumentale, débute en 1954 au Conseil national de recherche du Canada avec linventeur Hugh Le Caine qui assiste aussi la création de studios dans les facultés de musique de University of Toronto, en 1959, et de McGill University, en 1964. (Dans cette période plusieurs compositeurs «essaient» le studio, y crée une ou deux pièces et ny retournent plus.)
La seconde est celle qui débute vers 1970. Le studio nest plus seulement un nouvel instrument de musique, il devient une nouvelle façon de faire la musique. La lutherie sinvente. Apparaissent les instruments analogiques asservissablesles synthétiseurset aussi les débuts de linformatique musicale (hors des centres de recherche privés). Plusieurs compositeurs de ce groupe se consacrent à ce mode de création, vont en Europe chercher et développer leurs connaissances.
La troisième débute vers 1980 avec la reconnaissance institutionnelle du genre électroacoustique par la mise sur pied dun programme détudes complet (à lUniversité de Montréal). La plupart des compositeurs de ce groupe ont eux-mêmes étudié en France, y retournent régulièrement et crée ainsi des ponts avec notre pays. Cest aussi lépoque où le Concours international de musique électroacoustique de Bourges (créé en 1973) ainsi que la tenue annuelle du Festival international (dès 1970) prennent une grande importance pour tous les compositeurs, car ils sont devenus le temps et le lieu de rencontre et de partage des musiques qui se font à travers le monde occidental. Les compositeurs Philippe Ménard, Yves Daoust, Barry Truax, David Keane et Francis Dhomont, entre autres, ont participé à de nombreux festivals apportant avec eux les musiques dici et rapportant les musiques découvertes là-bas. Vers la fin des années 80, le besoin de regrouper les compositeurs délectroacoustique se fait sentir et la Communauté électroacoustique canadienne (CEC) est fondée.
Aujourdhui, libre de conventions, de patrimoine historique, sociologique et esthétique, cet art sonore continue à se créer. Les tendances très actuelles des musiques «underground» en sont des manifestations rafraîchissantes. Souvent sans le savoir, ces artistes «techno», «noise» et «minimal electronics» ainsi que les «DJ», non seulement utilisent les mêmes moyens de création que ceux des compositeurs délectroacoustique (le studio) mais ont une approche similaire de la création sonore: seule la fin diffère.
Depuis la fin des années 80, le rapide développement de la lutherie électroacoustique rend possible la mise sur pied de studios personnels performants; et, depuis le milieu des années 90, souvent plus performant que ceux des institutions! Ce développement conjugué à labsence de studios associatifs (comme il y en a tant en France, par exemple) font que la musique électroacoustique se pratique hors des institutions.
(Avatar, qui uvre dans les ars sonore et radiophonique, serait finalement pratiquement le seul studio associatif, et quoique des centres de création médiatique, lire vidéo, ont aussi des studios de son, cela nen fait pas pour autant des studios de composition électroacoustique.)
La multiplication des studios personnels sest aussi accélérée pour deux autres raisons. Alors que jusquà la fin des années 80, la «plupart» des compositeurs étaient aussi professeurs, on remarque quaujourdhui la «plupart» des compositeurs sont compositeurs pour le cinéma, la danse, la télévision ou le théâtre.
Ceci étant dit, la plupart des compositeurs de musique électroacoustique actifs aujourdhui sont passés par les universités ou les conservatoires qui sont à la fois des lieux de formation (grâce a leurs professeurs qui sont aussi compositeurs), de création (grâce à leurs studios) et aussi de diffusion (grâce à leurs quelques séries de concerts).
La place de nos électroacousticiens sur les scènes nationale et internationale
Malgré de nombreux développements (organisation de festivals, mise sur pied dun regroupement avec ses congrès, publications écritespapier et électronique et discographie ), fondation de maisons de disques, reconnaissance internationale de la qualité des uvres de ses compositeurs lors de concoursdont les plus prestigieux, par la programmation lors de concerts et festivals importants) la place de nos électroacousticiens au pays reste toujours aujourdhui à être reconnue et justement valorisée.
Quoiquelle soit, toutes proportions gardées, lune des grandes forces de la création musicale canadienne, il reste encore à lélectroacoustique à se faire connaître et reconnaître. Cette situation nest pas exclusivement canadienne: les mêmes défis se retrouvent à létranger et même au niveau internationaldoù le besoin de créer, là aussi, de structures distinctes telles la Confédération internationale de musique électroacoustique (CIME) et la Tribune à lUNESCO.
Ainsi la communauté électroacoustique a dû se développer elle-même, seule. Sans toutefois ignorer les multiples actions posées ici et là au cours des quarante-cinq dernières années, je retiendrai quatre événements publics ainsi quun développement technologique pivots pour lensemble de la communauté électroacoustique au pays.
Vers 1982, le CECG, piloté par Kevin Austin à la Concordia University, lanceaux niveaux national et internationaldes appels duvres pour bande pour ses séries de concerts. Dès 1984 le CECG publie aussi un bulletin de nouvelles qui sera distribué lui aussi au pays et à létranger. Ces deux actions font connaître lactivité électroacoustique canadienne et comble le besoin de communication entre les compositeurs eux-mêmes.
En 1986, la Music Gallery sous Al Mattes organise lévénement Wired Society/Branché qui regroupe plus de quarante compositeurs et nombre important détudiants en provenance de toutes les régions du pays afin, entre autres, déchanger sur leurs besoins individuels et associatifs.
Dix mois plus tard, toujours en 1986, la Communauté électroacoustique canadienne (CEC) voit le jour avec plus de 101 fondateurs (suite à une campagne daffiliation entreprise en juillet) et publie le Bulletin CEC (dune certaine façon, prenant la relève du Bulletin CECG). (Notez que je co-rédige la charte de la CEC, la co-fonde et en devient le premier président.)
Lannée suivante, en 1987, les professeurs délectroacoustique de la Concordia University (dont je fait parti), de McGill University, de lUniversité de Montréal et du Conservatoire de musique de Montréal (ainsi quavec Robert Normandeau, alors étudiant à lUniversité de Montréal) se regroupent afin dorganiser le festival 2001(-14), faisant suite à lévénement de Toronto, et où la CEC fera «officiellement» sa première apparition. (On verra dans le petit historique plus bas les différentes actions de la CEC, jusquà ce jour.)
Linvention et la popularité du disque compact ont été bénéfiques pour lélectroacoustique car la qualité sonore du support de diffusion est similaire ou identique à celle de luvre originale et son format est universel. Enfin, lauditeur entend, en stéréophonie, dans toute ses subtilités et ses nuances, luvre musicale. Lélectroacoustique (ici je parle presquexclusivement de la musique pour haut-parleurs qui est aussi connue sous de nombreux autres noms dont acousmatique et musique concrète) est un art qui dabord et avant tout sécoute. Invisible, sa diffusion ne se fait pas par la photocopie de partitionscomme on le fait pour les musiques instrumentalesmais par la copie sonore dabord sur bande magnétique (et à grand tirage sur disque vinyle) et depuis peu, sur disque compact enregistrable (et à grand tirage sur disque compact audio).
Petit historique
Les musiques électroacoustiques saffirment et se développent dabord en France et en Allemagne vers 1948. (Bien sûr, toutes nouvelles tendances se forment à partir dantécédents, mais je considère que le changement dattitude qui sest produit à cette époque, en ces lieux, constitue un véritable début.)
Quoique Otto Joachim fonde son studio personnel de musique électroacoustique à Montréal dès 1956, les premières traces canadiennes institutionnelles de studios de composition, se trouvent aux universités de Torontodès 1959et McGillen 1964.
Voici de façon très abrégée, et assez exacte, le développement de lélectroacoustique dont les références principales sont: les studios dans les institutions (universités et conservatoiresdonc des cours et des programmes détudes, centre de recherche et centre de production); les groupes dinterprétation; les groupes dartistes; les éditeurs discographiques.
Institutions denseignementsstudios
- University of Toronto, UTEMS: 1959 par Myron Schaeffer avec le concours de linventeur Hugh Le Caine; relayé par Gustav Ciamaga en 1965; depuis 1976, Dennis Patrick. (LUTEMS a été un pôle dactivités très actif dans les années soixante et soixante-dix, invitant un grand nombre de compositeurs canadiens et étrangers à y composer.)
- McGill University, EMS: 1964 par István Anhalt relayé par Paul R Pedersen de 1971 à 1974, alcides lanza et Bengt Hambraeus de 1974 à 1975; depuis 1975, alcides lanza.
- University of British Columbia: 1965 par Cortland Hultberg; depuis 1987, Keith A Hamel.
- Simon Fraser University: un premier studio (Sonic Research Studio) vers 1965 par R Murray Schafer; maintenant par Barry Truax, et un second vers 1982 par Martin Bartlett; maintenant par Martin Gotfrit.
- Royal Conservatory of Music (RCM), Toronto: 1967 par Samuel Dolin; suivi de Ann Southam c. 1970-c.1976; Peter Ness jusquen 1978; suivi de Wes Wraggett jusquà sa fermeture en 1991.
- Université Laval: 1969 par Nil Parent.
- Queens University: 1970 par David Keane; assisté de István Anhalt, Bruce Pennycook, William Buxton; depuis 1997, Kristi Allik.
- Conservatoire de musique de Montréal: premier départ en 1971 par Micheline Coulombe Saint-Marcoux, Otto Joachim et Gilles Tremblay et fermé en 1974; second départ en 1979 par Yves Daoust, relayé par Micheline Coulombe Saint-Marcoux de 1981 à 1985; depuis 1985, Yves Daoust.
- Concordia University: 1971 par Kevin Austin; Jean-François Denis de 1986 à 1989; Marc Corwin assisté par Laurie Radford et/ou Ned Bouhalassa jusquen 1996; maintenant Rosemary Mountain.
- University of Victoria: 1974 par Martin Bartlett; suivi de John Celona en 1981; par Douglas Collinge en 1982; depuis 1989, Andrew Schloss.
- Conservatoire de musique de Québec: vers 1978 par Pierre Genest; relayé vers 1980 par Yves Daoustbrièvement par Jean-François Denis en 1991jusquà sa fermeture vers 1993. En 1998 changement de vocation et réouverture avec Denis Dion.
- Université de Montréal: 1980 par Louise Gariepy; rapidement relayée par Marcelle Deschênes assistée de Francis Dhomont dès 1983 jusquen 1994; maintenant Jean Piché.
- Brock University: 1982 par Robert (Bob) Pritchard sa fermeture en 1989 (qui a organisé en 1985 la seule édition du seul concours de composition de musique électroacoustique pour bande au pays).
- Victoria Conservatory: 1996 par Wes Wraggett.
Autres institutionsstudios
- Conseil national de recherche du Canada, Electronic Music Laboratory (ELMUS): vers 1954 par linventeur Hugh Le Caine (1914-1977).
- ONF, Atelier de conception et de réalisations sonores: 1971 par Maurice Blackburn (1914-1987) [suite à un séjour en France au Groupe de recherches de musique concrète dirigé par Pierre Schaeffer]; avec Yves Daoust et Alain Clavier jusquà sa fermeture vers 1977.
Groupes dinterprétation associés à des institutions
- Concordia Electroacoustic Composers Group (CECG), c. 1981-c. 1989
Kevin Austin, Daniel Fiest, Dave Lindsay, James Tallon, John Wells, Eric Brown, Jean-François Denis. - Group of the Electronic Music Studio (GEMS), 1983
alcides lanza, Claude Schryer, John Oliver; alcides lanza, directeur artistique; avec Bruce Pennycook (1987-1998); depuis 1998 avec Zack Settel.
Groupes dinterprétationartistes
- Canadian Electronic Ensemble (CEE), 1971
David Grimes, David Jaeger, Larry Lake, James Montgomery. - MetaMusic, 1972-1981
Kevin Austin, Martin Gotfrit; et al. - Groupe dinterprétation de musique électroacoustique (GIMEL), 1973-c. 1979
Nil Parent, Marcelle Deschênes, Jean Piché, Gisèle Ricard, et al. - Sonde, 1976-c. 1985
Charles de Mestral, Pierre Dostie, Chris Howard, Robin Minard, Keith Daniel, Andrew Culver.
Groupe dartistesproducteurs de concerts
- Association pour la recherche et le création électroacoustiques du Québec (ACREQ), 1978
Yves Daoust, Marcelle Deschênes, Michel Longtin, Philippe Ménard, Pierre Trochu; depuis, dirigé, co-dirigé, impliquant, entre autres, Yves Daoust, Serge Arcuri, Myke Roy, Robert Normandeau, Michel Tétreault, Claude Lassonde, Claude Schryer; maintenant par Alain Thibault. - Réseaux, 1991
Jean-François Denis, Gilles Gobeil, Robert Normandeau.
Groupe dartistesassociatif
- CEC, Communauté électroacoustique canadienne: en 1986, regroupement de plus de 101 compositeurs, professeurs, interprètes et gens de radio. Publie les bulletins dinformation imprimés Bulletin CEC Newsletter, Contact!, Flash. Chapeaute les rencontres/festivals Journées électroacoustiques CEC (DIFFUSION!, >convergence<, PERSPECTIVES-->), lévénement radiophonique JERD. Produit aussi des disques compacts compilations, DISContact! Existe aujourdhui principalement sous forme électronique: site web <https://cec.sonus.ca> et groupe de discussion par courriel cec-discuss (pour sabonner: envoyer uniquement les deux mots suivants sans les guillemets «subscribe cecdiscuss» à <majordomo@concordia.ca>). A une portée nationale et internationale dès sa fondation. A propulsé la musique électroacoustique du pays à létranger par la diffusion dinformation (notamment sur les concours, les appels duvres et la tenue de festivals).
Éditeurs discographiques spécialisés
- empreintes DIGITALes, 1990
Jean-François Denis, Claude Schryer (jusquen 1991): 45 titres au catalogue, majorité de compositeurs canadiens. - Earsay Productions, 1998
John Oliver, Andrew Czink: 8 titres au catalogue, majorité de compositeurs de Colombie-Britannique.
Références
En plus de consulter les deux textes suivants, jai pû correspondre avec la plupart des principaux acteurs du milieu. Ce genre musical est encore jeune: nos pionniers sont presque tous vivants. (Hugh Le Caine, Micheline Coulombe Saint-Marcoux, Maurice Blackburn, Martin Bartlett, Bernard Bonnier et Philippe Ménard sont décédés.)
François Guérin, «Bref survol des musiques électroacoustiques au Canada», livret daccompagnement du coffret discographique Anthologie de la musique canadienne, Musique électroacoustique, ACM 37 CD 1-4, 1989.
Q/Résonance, Jean-François Denis, dir, Concordia University, 1988.
© Jean-François Denis, juillet 1999
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