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Musique acousmatique : continuité ou rupture ?

Malgré des moyens et un langage radicalement différents, je tente d’inscrire certaines de mes œuvres dans la continuité de l’histoire musicale. Écoute renouvelée de Debussy : Ce qu’a vu le vent d’Est. Madrigalisme spatial et par les images sonores : Opéra acousmatique yawar fiesta.

XXème siècle : En France, Pierre Schaeffer bouleverse les habitudes perceptives (les quatre écoutes, le son comme forme/matière) et descriptives (le total sonore dans la typo-morphologie du traité des objets musicaux). François Bayle développe les concepts théoriques relatifs à la musique acousmatique produite et entendue par haut-parleurs (image de son, conduite d’écoute, relation archétypale à l’imaginaire, relation à la mémoire, à l’espace, modalité acousmatique de la création en studio…). Il y a aussi, évidemment, la révolution technologique qui l’accompagne (enregistrement sonore, traitements temps réel, synthèse…). Il y a donc rupture avec le passé.

Cependant le lien historique peut être maintenu. L’écoute morpho-dynamique appliquée aux écritures mélodico-harmoniques, et donc une analyse perceptive renouvelée du style de certains compositeurs sont possibles. À partir de ce point d’écoute, l’étude de Debussy m’a permis d’enrichir ma palette d’écriture sonore, comme ces peintres qui posent leur chevalet au Louvre pour étudier, en les copiant, les styles anciens.

D’autre part, l’habitude de penser la musique comme une conduite de l’imaginaire de l’auditeur grâce, entre autres, à des degrés hiérarchisés de signes (Charles Pierce) archétypaux, engendre une interaction avec le texte inédite. Dans yawar fiesta, opéra électroacoustique en cours de composition, je reviens à la relation madrigalesque de Monteverdi ou Gesualdo, entre autres par l’utilisation figurative de mouvements dans l’espace, à partir des improvisations des chanteurs en studio.

Ce qu’a vu le vent d’Est (d’après Debussy)

Image de « tempête dans le désert » (1991) : une image mentale en arrière fond de la composition => démarche acousmatique : matières granuleuses ≈ sable. Forme en strates et rideau opaque ou transparent ≈ histoire de l’Irak et ses couches superposées de civilisations différentes.

Dans l’œuvre de Debussy il y a des recherches sur le timbre, un rapport à la nature, une construction par « montage » de cellules, une relation au cinéma. Étude de son style : Dialogue du vent et de la mer (troisième mouvement de La mer), Ce qu’a vu le vent d’ouest, Jeux et les intermèdes orchestraux dans Pelléas et Mélisande.

Avec une oreille schaefférienne : morphologies, énergies/mouvements, montage, contrastes, amplifications, tension/détente, répétitions, transitions.

En comparant le Dialogue (dur. 8 min.) et vent d’ouest (dur. 2:30, étiré à 8 min), je constate une même structure temporelle proportionnelle, en trois vagues-tensions et détentes, terminée par une même « virgule » au sommet de la vague.

Debussy comme commande temporelle

J’applique une compression temporelle sur les tensions, et une dilatation sur les détentes, avec ou sans transposition, de façon indépendante puis coordonnée sur les deux œuvres. Je me sers de ceci comme commande temporelle sur laquelle des « couches » de matières granulaires se superposent, occultant ou laissant transparaître quelques bouffées de Debussy.

Étude de style, quelques exemples

Contraste de texture/mouvement : des figures en mouvement sur un fond immobile.

Audio 1a. Claude Debussy, Dialogue du vent et de la mer, troisième mouvement de La mer, trois esquisses symphoniques pour orchestre. La mer: Dialogue du vent et de la mer. Orchestre de l’ORTF, dirigée par Jean Martinon. EMI Classics 1974/1989. Permission pending.
Audio 1b. Annette Vande Gorne, Ce qu’a vu le vent d’Est.

Amplification en vagues de plus en plus larges en masse, et/ou tempo accélerando, et/ou registre.

Audio 2a. Debussy, Ce qu’a vu le vent d’ouest. Préludes: Livre I, “Ce qu’a vu le vent d’ouest.” Walter Gieseking, piano. EMI Classics 1953/1987/2000. Permission pending.
Audio 2b. Vande Gorne, Ce qu’a vu le vent d’Est.

Répétition dont l’insistance crée tension. La répétition /tension prépare l’arrivée d’un nouvel évènement.

Audio 3a. Debussy, Dialogue du vent et de la mer (début). ORTF, Jean Martinon.
Audio 3b. Vande Gorne, Ce qu’a vu le vent d’Est.

Transition par répétition d’une cellulle transposée vers l’aigu, souvent accélérée, pour chute sur l’évènement suivant, plus grave, ou le contraire.

Audio 4a. Debussy, Ce qu’a vu le vent d’ouest. Mouvement vers le registre aigu. Walter Gieseking, piano.
Audio 4b. Debussy, Dialogue du vent et de la mer. Mouvement vers le registre moyen. ORTF, Jean Martinon.
Audio 4c. Vande Gorne, Ce qu’a vu le vent d’Est. Mouvement vers le registre aigu.

Transition par fondu enchaîné de couleurs.

Audio 5. Vande Gorne, Ce qu’a vu le vent d’Est.

Transition par une articulation en échappée.

Audio 6. Vande Gorne, Ce qu’a vu le vent d’Est.

Modèle énergétique et temporel Dilatation/contraction temporelle de Dialogue et Vent d’ouest.

Audio 7. Vande Gorne, Ce qu’a vu le vent d’Est.

Traitement (vers pluie de grains colorés), dilatation des détentes/attentes, resserrement des tensions et mélange.

Audio 8. Vande Gorne, Ce qu’a vu le vent d’Est.

Couches de matière granuleuse (le sable…) en forme de vagues.

Audio 9. Vande Gorne, Ce qu’a vu le vent d’Est.

Dialogues entre toutes les vagues, avec la structure générale des vagues de Debussy en arrière-plan temporel, qui apparaissent par bouffées fugitives sous le rideau des matières qui les recouvrent.

Audio 10. Vande Gorne, Ce qu’a vu le vent d’Est, mix.

yawar fiesta, opéra acousmatique

Livret de Werner Lambersy, avec la basse Nicolas Ischerwood, les contraltos Fadila Figuidi et Annette Vande Gorne, la soprane Françoise Vanhecke, et les récitants Werner Lambersy et Charles Kleinberg.

Analyse sémiologique : rapports entre les mots par codes couleurs.

Rapports entre les mots par codes couleurs pour toutes les images qui suivent
Figure 1
Figure 1 [Click image to enlarge]

En découle une série de thèmes :

… qui génèrent une série de motifs sonores, sortes de leitmotiv. Leur relation au texte est le plus souvent de type madrigalesque par les images sonores archétypales qui les sous-tend, les images mentales qu’ils provoquent.

Audio 11a et 11b. Theme 1 (pouvoir) : tombé; colère.
Audio 12. Theme 2 (pauvreté) : flûte flèche.
Audio 13. Theme 3 (défense) : Transsibérien+psalmodie pulsée.
Audio 14. Theme 4 (vérité) : mots-vérité bercement.
Audio 15. Theme 5 (vivre) : vagues.
Audio 16. Theme 6 (combat) : TR5 lent+trame battante.
Audio 17. Theme 7 (unité) : Tutti vocal (dans le style « rap »).
Figure 2
Figure 2 [Click image to enlarge]

En découle aussi des principes formels applicables tant au niveau local d’une phrase, une section, que plus global d’un acte, ou de l’ensemble :

Figure 3
Figure 3 [Click image to enlarge]

La fin de l’opéra (un acte non destiné à la représentation sur scène, sorte de morale) résume l’ensemble de ces thèmes. Je commence donc par la fin (selon les conseils de Jean Absil), et génère une série de matériaux thématiques (leitmotiv…). La majorité des matériaux est d’origine vocale : les récitants ou chanteurs sont enregistrés en studios, à partir de leurs improvisations (démarche concrète).

Il n’y aura pas de chanteurs sur scène, mais des mimes-danseurs. La pièce est traitée sur le mode incantatoire des tragédies de Eschyle : peu de personnages (choryphées) importance des chœurs, sujet universel.

L’espace, les mouvements polyphoniques spatiaux, et le choix des matériaux et des traitements sonores pour leur caractère imagé établissent une relation madrigalesque au texte.

Audio 18. Combattimento, de yawar fiesta

Le chant est réintroduit dans cette musique électroacoustique pour son expressivité lyrique (polyphonie, ou accords-couleurs).

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